Situation au Kivu (janvier 2009)
Quelques vérités sur le conflit du Kivu
Que veut le Rwanda?
À l’issue des deux guerres du Congo (1996/1997 et 1998-2003) le Rwanda est devenu la puissance incontournable de l’Afrique des Grands Lacs. Sans son accord il est impossible d’envisager une solution au conflit du Kivu. Depuis 1994, il poursuit deux objectifs avec obstination: placer au pouvoir à Kinshasa un allié stratégique et balkaniser le Congo en faisant basculer le Kivu dans sa zone d’influence.La guerre dans l’Est de la RDC relancée en août 2008 par Laurent Nkunda sert cet objectif. La guerre s’autofinance par le pillage systématique des richesses naturelles du Kivu, sans que la «communauté internationale» ne s’en offusque vraiment.Trois raisons expliquent l’impunité dont le Rwanda jouit dans sa politique de déstabilisation du Congo: – son rôle de sous-traitant dans le transfert des ressources pillées au profit des consortiums occidentaux, – le fait que les États-Unis se sentent toujours coupables de n’avoir pas cru au génocide des Tutsi en 1994, ni pu l’empêcher et enfin,- le Rwanda sait se rendre utile: il est partie prenante à la «coalition des volontaires» ralliée à la guerre américaine en Irak; il coopère à la lutte contre le terrorisme menée par les États-Unis en envoyant des soldats au Darfour. On permet alors que le Rwanda soutienne Nkunda: il en a la légitimité, car selon ses alliés (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne) la RD Congo et la MONUC n’ont jamais rien tenté pour désarmer les génocidaires hutu Interahamwe (FDLR) réfugiés au Kivu.
Quels sont les acteurs de la guerre au Kivu?
– Le CNDP de Laurent Nkunda. Nkunda s’est proclamé le défenseur de sa communauté tutsi, Banyarwanda du Nord-Kivu, Banyamulenge du Sud-Kivu, qu’il estime menacée par la présence des FDLR dans la région. La dernière offensive du CNDP, débutée en août 2008, est toujours en cours avec l’aide du Rwanda, comme l’a prouvé un rapport d’experts de l’ONU publié le 12/12/2008. Il apparaît évident que le mobile ethnique avancé par Nkunda pour justifier sa présence armée au Kivu n’est qu’un prétexte masquant la convoitise du Rwanda sur cette partie du Congo.- Les FDLR. La lutte du CNDP de Nkunda contre les FDLR est l’expression de la volonté de Kigali d’empêcher le réarmement et l’éventuel retour au pouvoir au Rwanda des 5000 à 6000 ex-Interahamwe que le Congo utilise, ainsi que le confirme le rapport d’experts de l’ONU du 12 décembre 2008, comme supplétifs de son armée (FARDC).- Les FARDC. Depuis le début de la réouverture des hostilités, les forces armées congolaises (FARDC) ont connu déconvenues sur déconvenues. L’explication en est assez claire : ses unités sont issues du « brassage » des ex-milices armées qui dévastaient la région, intégrées au processus de paix de Sun City (17 décembre 2002). Ce « brassage » n’a, de fait, été qu’un simple démantèlement des divers groupes armés mais n’a pas donné naissance à une véritable armée nationale dont l’hétérogénéité est la caractéristique essentielle.- Les MAÏ-MAÏ représentent une nébuleuse de milices appartenant à divers groupes ethniques autochtones (Nande, Hunde, Bembe), évidemment opposés à l’hégémonie tutsie au Kivu, à la présence de troupes rwandaises en RDCongo et au CNDP de Laurent Nkunda.- La MONUC a démontré son inefficacité à protéger les populations civiles. Plusieurs raisons à cette faillite: ses contingents sont hétéroclites, pour la plupart indiens et pakistanais qui ne s’entendent pas et coordonnent mal leurs efforts; la complicité constatée de certains de ses membres avec la rébellion de Nkunda et l’implication avérée de plusieurs casques bleus dans des affaires de viols et de trafics de minerais ont achevé de discréditer la MONUC, à tel point que les Congolais s’interrogent sur l’opportunité de sa présence.
Quelles sont les causes de la guerre?
– Une constante séculaire: les conflits entre communautés ont toujours été une résultante des problèmes liés au contrôle de la terre, du pouvoir et de l’économie. Le Rwanda est exigu, très peuplé, dépourvu de richesses naturelles et sa démographie galopante explique ses visées hégémoniques sur le Kivu voisin, qu’il considère comme un lebensraum (un habitat, un espace vital) indispensable dont il pille les ressources minières.- Le pillage du Kivu. Pays-entrepôt, c’est par le Rwanda que transitent les minerais exploités illégalement au Kivu: son activité de sous-traitant au profit de consortiums occidentaux lui vaut une aide massive des institutions financières internationales, tels le FMI et la Banque mondiale qui financent plus de la moitié de son budget annuel. En agissant ainsi, les Occidentaux financent la guerre et les massacres, favorisent le trafic d’armes et contribuent à la criminalisation de l’État rwandais. Avant le traité de paix Rwanda/RDC (30 juillet 2002), l’armée rwandaise supervisait cette prédation systématique. Après son retrait du Kivu, le pillage a continué par l’intermédiaire de réseaux structurés et par milices interposées, notamment celle de Nkunda, dont la présence empêche l’État congolais d’exercer son autorité sur la région. Le Rwanda conserve ainsi la mainmise sur les richesses de l’Est du Congo. Mais le coltan et la cassitérite du Kivu attirent d’autres prédateurs: les FDLR, certains commandants des FARDC, des hommes d’affaires locaux, dont certains sont soupçonnés de verser leur cotisation au CNDP de Nkunda, transporteurs et douaniers s’enrichissent à partir de cette économie illégale et, au bout de la chaîne, des courtiers occidentaux en tirent le plus de profit.- La concurrence Occident/Chine. Il n’est pas indifférent de noter que la guerre du Kivu a été relancée alors que le gouvernement congolais cherche à diversifier ses partenaires pour la reconstruction et le développement de la RDC, en signant avec la Chine en septembre 2007 d’importants contrats miniers (au Katanga) et de coopération. Les Occidentaux ont marqué leur mécontentement en refusant de reconsidérer la dette de la RDC auprès du FMI et craignent que la Chine en RDC ne vienne contrarier fortement leurs intérêts. Leur soutien traditionnel au Rwanda est plus que jamais d’actualité, comme la possibilité d’une partition du Congo et d’un changement de pouvoir à Kinshasa. En tout état de cause, l’exigence de Nkunda de voir remis en cause les contrats de coopération avec la Chine et son appel, début octobre, à renverser le gouvernement congolais ne doivent rien au hasard.
Que faire?
– Négocier avec Nkunda ? Cela apparaît être une mission impossible tant les exigences de Nkunda sont irréalistes. Par exemple, vouloir étendre l’objet de la négociation en cours à Nairobi, à ce qu’il considère comme «des problèmes concernant tout le pays et pas seulement sur le conflit en cours» va au-delà du mandat conféré par l’ONU à son médiateur. Comment le gouvernement congolais, issu des urnes aux termes d’un processus électoral démocratique, pourrait-il accepter les demandes de Nkunda concernant des amendements constitutionnels pour un changement de régime à Kinshasa? Ce n’est pas par la négociation que l’on résoudra le problème Nkunda.- Négocier avec le Rwanda? Les Occidentaux (États-Unis, Union européenne) ont trop d’intérêts égoïstes dans la région pour exiger du Rwanda qu’il abandonne ses tentations d’élargir son emprise territoriale au Nord-Kivu, de mettre fin au pillage du Kivu et qu’il fasse pression sur Nkunda afin qu’il dépose les armes, en échange de l’aide financière généreuse que lui dispense le FMI.
– Il faudra alors penser à prendre des initiatives novatrices, à inventer un nouveau vécu régional, dont la RDC et le Rwanda ont une responsabilité historique: que ces deux pays dépassent leur antagonisme et réfléchissent ensemble à une recomposition concertée et globale de la région des Grands Lacs, «qu’il s’agisse des flux de population, de l’essor économique, de la sécurité, de la gestion des environnements et d’une pratique démocratique réelle». Le cadre institutionnel d’un «marché commun des Grands Lacs», qui ouvrira les frontières des Etats, sans pour autant les redessiner, reste à trouver, mais l’union pour les pays des Grands Lacs est une urgence. À défaut, ils connaîtront longtemps encore le chaos, la misère et la dépendance à l’égard de l’Occident, tellement responsable des catastrophes africaines.[1]
Selon Alain BISCHOFF il est parfaitement impossible de négocier avec Nkunda dont les revendications se modifient régulièrement et deviennent de plus en plus irréalistes.Seules des mesures contraignantes qui nécessitent le concours, volontaire ou forcé, du gouvernement rwandais – le seul qui ait une prise sur Nkunda – paraissent susceptibles de stopper le chef rebelle dans son aventure». Si la Suède et les Pays-Bas ont opté, depuis le 12 décembre 2008, pour la suspension de leur aide à Kigali, s’engageant ainsi dans ces mesures contraignantes, la France se montre complaisante, la Belgique hypocrite, les Etats-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne continuent leur coopération avec Paul Kagame comme si de rien n’était.Toutefois le nœud du problème reste le pillage des ressources du Kivu : tant que la « communauté internationale » n’aura pas de comportement éthique en la matière, le coltan, l’étain, resteront des « minerais de sang » et le Kivu demeurera une sorte de « Lebensraum » (espace vital) rwandais. » De toutes les façons, il n’y a pas grand-chose à attendre de cette fameuse communauté internationale.Elle « préférera longtemps encore s’appuyer sur le Rwanda, Etat fort et dictatorial, plutôt que sur le Congo, Etat faible et fragile démocratie, pour s’assurer la pérennité de ses approvisionnements en coltan et en cassitérite du Kivu, dont l’exploitation et l’exportation vers des consortiums occidentaux constituent son intérêt primordial». « L’Onu a démontré sa totale impuissance à régler la crise; elle peine à trouver des renforts pour la Monuc : seuls 600 soldats du Bangladesh et quelques Guatémaltèques seraient disponibles à l’heure actuelle sur les 3000 dont l’envoi au Kivu est projeté. La Monuc a fait la preuve de son inefficacité à remplir son mandat, ne serait-ce que pour assurer la protection des civils dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’Onu.Les divisions européennes au sujet d’une intervention militaire ne sont pas de nature à régler la question de la guerre d’agression rwandaise dans la région des Grands Lacs.
Il est intéressant de lire les réactions des Congolais. Certaines de ces réactions estiment que nous devrions rompre avec la francophonie représentée par la Belgique et la France pour devenir anglophones à l’exemple du Rwanda, de l’Ouganda ou du Kenya. D’autres encore souhaitent que notre pays soit vendu au plus offrant ou qu’il soit balkanisé de façon que chaque province s’occupe de son propre développement. Il y a aussi les défenseurs acharnés de l’intégrité territoriale du Congo et de l’union congolaise comme dimensions indispensables à la promotion d’un nouvel esprit congolais. Pourquoi devrions-nous être ou francophones ou anglophones et pas «congolophones» c’est-à-dire nous-mêmes, dans la fidélité à l’esprit des pères de l’independence et dans le respect des autres identités?[2]
Un «Plan américain de fin de guerre au Kivu»
La guerre au Kivu n’est pas politique, mais bel et bien économique. Chaque jour qui passe confirme cette thèse, comme le démontre clairement le dernier rapport des experts de l’Onu. Louis Michel, Commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, avait déjà attiré l’attention sur la «dimension économique» de cette guerre et invitait toutes les parties impliquées dans la recherche d’une solution durable à la guerre, à s’appesantir sérieusement sur cette «dimension économique».
Un «Plan américain de fin de guerre au Kivu» est fin prêt sur la table de Barack Obama, le président élu des Etats-Unis. Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines (1989-1993) en est le grand inspirateur. Intitulé «L’Afrique peut-elle commercer la voie de la paix?», le plan a été rendu public le 15 décembre dernier.Pour Herman Cohen, «la seule façon de mettre fin à une guerre qui a causé cinq millions de morts et forcé des millions de personnes à fuir leurs foyers dans l’Est du Congo, c’est de répondre à la dimension internationale du conflit et à ses racines économiques». Même si le Rwanda nie sa responsabilité dans ces guerres, notamment en dénonçant le dernier rapport de l’Onu, Herman Cohen estime que le rôle du Rwanda dans ces conflits à l’Est de la Rdc est indéniable et de grande importance. Parlant de Nkunda, Herman Cohen dit: «Ses troupes sont armées et financées par le gouvernement du Rwanda. Ses opérations militaires visent principalement à empêcher l’armée de Kinshasa de rétablir son autorité sur les provinces de l’Est».Herman Cohen affirme encore:«Après avoir contrôlé les provinces du Kivu depuis 12 ans, le Rwanda ne veut pas renoncer à l’accès aux ressources naturelles congolaises qui représentent une bonne partie de son produit national brut, mais que le gouvernement congolais est en droit d’en prendre le contrôle pour en faire profiter son peuple. Cette dimension économique du conflit doit être prise en compte, sans qu’il y ait de gagnant, ni de perdant».Il propose donc un projet de marché commun incluant la RDC, le Rwanda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda. Cet accord autoriserait la libre circulation des personnes et des biens et garantirait aux entreprises rwandaises l’accès aux ressources minières et aux forêts congolaises. Les produits fabriqués à partir de ces matières premières continueraient d’être exportés via le Rwanda. Le grand changement serait le paiement des droits et des taxes au gouvernement congolais. Pour les entreprises rwandaises, ces prélèvements seraient compensés par la hausse des revenus». Selon Herman Cohen, ce marché commun permettrait à la RDC d’utiliser «les ports de l’océan Indien qui sont le débouché naturel des produits du Congo oriental, plutôt que ceux de l’océan Atlantique, à plus de 1600 km de là». Cohen reconnaît aussi que le Rwanda n’a pas seulement besoin des ressources naturelles de la Rdc, mais aussi de l’espace territorial. Il remarque: «En outre, la libre circulation des personnes viderait les camps des réfugiés et permettrait au pays à forte densité de population, dont le Rwanda et le Burundi de fournir la main-d’œuvre nécessaire pour le Congo et la Tanzanie».En conclusion, propose Herman Cohen à Barak Obama, «Si un tel marché commun peut être négocié, le Rwanda et le Congo n’auraient plus besoin de financer et d’armer des milices pour se faire la guerre sur les ressources naturelles dans les provinces de l’Est du Congo». Il y a un côté manifestement injuste dans la proposition de Cohen. Il semble se préoccuper de la situation du Rwanda à qui il reconnaît le droit de jouir obligatoirement des richesses du Congo. Lorsqu’il dit que les deux pays «n‘auront plus à se faire la guerre», il loge les deux Pays à la même enseigne et pourtant la Rdc n’a jamais attaqué le Rwanda. Partant de ce parti pris américain, les Congolais ont le droit de prendre avec des pincettes la proposition de Herman Cohen. La Rdc fait partie de la Sadc, de la Ceeac et de Comesa. Le Rwanda a également la liberté d’adhérer à toutes ces organisations, mais on constate que Kigali s’est retiré de la Ceeac. Le problème c’est que l’Amérique, incapable de continuer à justifier Kigali dans ses nombreuses agressions contre la Rdc, veut l’aider à avoir par le fameux marché commun ce qu’il prend aujourd’hui par la guerre.Le «plan» de Herman Cohen vise à consolider la présence économique et commerciale du Rwanda au Congo oriental jusqu’à le rendre incontournable et son économie forte. Pire, il aura pour conséquence l’affaiblissement de l’économie congolaise en réduisant fortement les exportations vers l’ouest, c’est-à-dire le port de Matadi, pour renforcer la valeur marchande des pays anglophones de l’Est, notamment le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et bien sûr le Rwanda qui se verra ainsi désenclavé. Herman Cohen, qui reconnaît que depuis 1996 les «provinces du Kivu sont économiquement intégrées au Rwanda», est en train de préparer, par le biais de ce plan, «l’annexion en douceur» du Congo oriental au Rwanda.[3]
Le conflit congolais n’est pas ethnique, mais économique et international. Ses acteurs sont des états et des multinationales intéressés par les ressources minières du Congo. Au lieu de perdre le temps à Nairobi avec les agenda bidons de Nkunda, homme de paille de vrais commanditaires, les négociateurs congolais devraient prendre en main la direction des négociations sur base des vrais motifs de la guerre et négocier directement avec les vrais commanditaires du conflit congolais qui sont le Rwanda, l’Ouganda, les USA et l’Angleterre et tous ceux que les experts de l’ONU avaient identifié dans leur rapport de 2002 sur les pillages des ressources minières du Congo. Tant que les vrais motifs de la guerre ainsi que les vrais commanditaires resteront dans l’ombre, les hommes de paille s’amuseront à changer d’agenda pour pérenniser le statu quo qui profite déjà à leurs commanditaires.[4]
Nkunda a changé le cahier de charges au gré de ses humeurs
Laurent Nkunda, le chef du Cndp, a commencé sa lutte, comme le disait lui-même, pour protéger la population rwandophone. Il ne faut pas être amnésique. A ses débuts, le CNDP s’érigeait en protecteur des Tutsi contre l’éternel ennemi FDLR/Hutu. Une transposition en RDC de l’antagonisme Tutsi- Hutu du Rwanda. Le départ de ces rebelles rwandais constituait, alors, la principale priorité du CNDP. Chemin faisant, voyant la compréhension que lui manifestaient certains milieux, nationaux et internationaux, il a estimé qu’il pouvait changer de cahier de charges au gré de ses humeurs. Avec le temps, enivré par des conquêtes militaires et encouragé par certains Congolais assoiffés de pouvoir incapables d’attendre les prochaines échéances électorales, notamment à cause du fait qu’ils ne sont pas certains de faire mieux qu’en 2006, Nkunda a commencé à trouver sa veste de leader Tutsi trop étroite. Il s’est mis à l’échelon national et exigé des négociations directes avec le Gouvernement. Sous une double pression, militaire et diplomatique, il a obtenu que Kinshasa accepte de discuter avec ses hommes dans un pays neutre: le Kenya.Alors que la communauté internationale lui a envoyé des émissaires pour résoudre la question précise de la guerre au Nord-Kivu, le chef du Cndp veut imposer une autre conférence nationale ou un autre dialogue inter congolais. Le tango qu’il avait dansé avec l’ancien président du Nigeria lui avait donné l’impression qu’il pouvait tout exiger et l’obtenir, en termes clairs: une remise en question des institutions issues des élections de 2006 et le partage du pouvoir. Toutefois, les occidentaux, qui ont longtemps soutenu l’idée d’un règlement politique de la crise du Kivu, ont en même temps imposé des limites: une ligne rouge à ne jamais franchir: pas question de remettre en cause les institutions légitimes et légalement établies. Une autre façon de dire à Nkunda d’abandonner les revendications à caractère national, sa nouvelle trouvaille.Les occidentaux, qui se cachent sous l’appellation «communauté internationale», sont ceux-là qui ont piloté le processus de démocratisation du Congo. En dépit du fait que le schéma occidental sur le Congo est dans l’impasse, l’Onu et l’Union Européenne ne sont pas prêtes à revenir à la case de départ. Ce serait très honteux et ridicule pour les grands de ce monde d’accepter une telle éventualité. Battu sur le plan politique, il est probable que Nkunda recommence à utiliser le seul langage qu’il connaît: la reprise des hostilités. Dans ce cas, les choses ont beaucoup changé ces dernières semaines. Il y a eu ce rapport de l’Onu qui pointe du doigt les responsabilités du CNDP dans le drame humanitaire du Kivu et accable le Rwanda à cause de son appui au Cndp. Ce rapport de l’Onu n’est pas le bienvenu pour le Président rwandais Paul Kagame dont les ennuis avec la justice française et espagnole ne sont plus à démontrer. Peut-être qu’il faudrait que Kagame se sente très menacé par la justice internationale pour qu’il abandonne, à son tour, sa politique criminelle, agressive et déstabilisatrice vis-à-vis de la RDCongo. Bien sûr qu’on n’en est pas encore là, car les anglo-saxons ne sont pas encore prêts à lâcher Kagame à cause de leurs intérêts géostratégiques qui ont donné lieu au génocide rwandais de 1994. Mais le génocide, l’holocauste, qu’aucun homme épris de la liberté ne peut tolérer, ne doit pas constituer un éternel fond de commerce et un moyen de prise en otage.
Nkunda aussi devra comprendre que, dans un état de droit, celui qui veut devenir Premier ministre en Rdc, changer la configuration du parlement et nommer ses amis au gouvernement, il devra le faire par les urnes et non par les armes.[5]
Le 23 décembre, lors d’une conférence de presse au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère (CAPE), à Paris, le ministre congolais Affaires Etrangères, Alexis Thambwe Mwamba a mis en garde contre "la bombe à retardement" que constitue, selon lui, la situation créée sur le terrain par le rebelle tutsi congolais Laurent Nkunda, "créature du Rwanda". "90% des personnes déplacées appartiennent à une seule ethnie, les hutus congolais. Le fait de s’attaquer plus particulièrement (à cette ethnie) crée un sentiment profond de rejet et de haine à l’égard de ceux qu’il prétend pouvoir défendre", les Tutsis congolais, a déclaré M. Mwamba. "Si M. Nkunda continue dans cette voie-là, c’est une bombe à retardement", a-t-il ajouté, estimant qu’"on a transposé sur le territoire congolais le drame du Rwanda".Le ministre s’est montré ferme envers Nkunda qu’il accuse de vouloir «imposer le diktat d’une minorité aux dix millions de Congolais des deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu». A la question: «Pourquoi n’incorporez-vous pas les Tutsis dans l’armée nationale congolaise et les inclure au sein des institutions nationales comme l’exige Laurent Nkunda?», Alexis répond: «Les revendications de Nkunda sont hors normes. Les Tutsis sont mieux représentés au sein de l’armée et de l’administration congolaise plus que les autres. D’ailleurs, il faut noter qu’il y a au sein de l’armée nationale, 9 généraux tutsis, 13 colonels, 300 majors, plusieurs officiers, des ministres, des membres du parlement et du sénat. Ils occupent aussi des postes importants au sein de l’administration. Alors, dire qu’il en faut plus pour une ethnie, c’est exagéré».
Ainsi sa demande de création d’une nouvelle province pour la minorité tutsi lui paraît, en effet, inacceptable.
Sur les causes de la guerre au Kivu, Thambwe Mwamba n’a pas usé de la langue de bois: «Les motivations sont économiques. Aujourd’hui le Rwanda et l’Ouganda sont devenus d’importants exportateurs des produits dont on ne peut trouver même pas un mètre cube dans leurs sous-sols».Ces révélations battent en brèche l’argument de la minorisation des tutsis et pose un autre problème: celui de la minorisation des majorités bantu par la minorité tutsie. Elles balaient d’un revers de la main l’argument-massue de Nkunda, la protection des minorités tutsies, pour justifier sa guerre au Kivu.[6]
Une dissension au sein du Cndp: avec quelle finalité?
A la veille de la reprise des négociations de Naïrobi que le Cndp avait réclamé à cor et à cri, on crée délibérément une dissension au sein du mouvement. A Naïrobi, le Cndp va afficher une attitude d’ouverture. Il pourra même facilement signer tous les documents qui lui seront présentés dont celui relatif au cessez-le-feu. Mais sur le terrain, la guerre continuera avec Bosco Ntaganda qui aura comme argument, ne pas reconnaître les actes signés par la délégation désignée par Nkunda qui n’aurait plus le droit d’engager le mouvement. On se retrouvera ainsi à la case départ. Bosco Ntaganda exigera d’autres négociations. Une certaine Communauté Internationale demandera alors au gouvernement congolais d’être réaliste et d’accepter. Pendant qu’on multiplie les interlocuteurs et les négociations, les vrais seigneurs de guerre dont les multinationales, s’adonnent à l’exploitation des ressources naturelles de la Rdc. Cessons d’être naïfs.Si la guerre à l’Est de la Rdc a duré plus d’une décennie, c’est parce qu’en fait on n’a jamais eu le courage de dire qui combat contre qui. Même si lorsqu’on est arrivé à dire que c’est le Rwanda qui est derrière les rébellions congolaises, ce constat n’a jamais été pris en compte au moment de trouver la solution à la crise. Pourquoi continuer à perdre le temps et l’énergie à négocier avec des irresponsables, alors que les vrais faiseurs de la guerre sont là et rient sous cape?[7] Le résultat le plus immédiatement évident que pourrait avoir cette division supposée à l’intérieur du CNDP, ce serait de torpiller en douceur les discussions de Nairobi. «En douceur» parce qu’au lieu de claquer la porte, le CNDP pourrait refuser de s’engager «compte tenu de l’autre faction», ou même prendre des engagements qui ne seraient pas tenus par «l’autre faction»… Les possibilités ne manquent pas, de scénarii qui permettraient de poursuivre les hostilités, tout en n’ayant pas les apparences impopulaires de la partie qui a saboté les pourparlers.La tactique du CNDP est invariable (et pourquoi en changerait-il, puisqu’il est jusqu’ici gagnant ?): alterner les épisodes de guerre «chaude», pendant lesquels on fait néanmoins des offres de négociations, et les épisodes de guerre «froide» où l’on demande la lune tout en multipliant les réclamations au sujet d’incidents sur le terrain.Pendant ce temps – et c’est là le but essentiel – le pillage des minerais congolais au profit du Rwanda peut se poursuivre, de même que les exactions contre les populations civiles. Celles-ci finiront par en mourir ou par émigrer, faisant ainsi de la place pour de nouveaux «Kivutiens» importés du Rwanda. Les opérations militaires de cette guerre ont une importance secondaire. Si l’attaque sur Goma avait eu pour but de prendre Goma, la ville aurait été prise, mais ce qui compte c’est la poursuite du pillage et de la «colonisation de peuplement».
En ce sens, l’opération «de Goma à Nairobi» a été une manœuvre magnifique : Nkunda a couru sciemment le risque d’une intervention militaire (les Angolais n’ayant été arrêtés que par l’intervention de l’envoyé de l’ONU) pour obtenir des pourparlers directs pendant lesquels le pillage pouvait se poursuivre à l’aise.[8]
Le fait que le limogeage de Nkunda par Jean Bosco Ntaganda ait été annoncé à la veille de la reprise du troisième round de Nairobi III, ressemblerait plus à un canular et à une manœuvre de diversion pour retarder le processus de Nairobi.Toutefois, un élément nouveau dans sa déclaration : Bosco rejette toutes les « ambitions nationales de Nkunda » au nom du CNDP. Il se dit « prêt à collaborer avec Kinshasa pour traquer les FDLR ; qu’il respecte l’ordre constitutionnel en place et ne remet pas en cause la convention sino-congolaise ». Faits dénoncés par Nkunda qui réclame pratiquement la remise en cause de l’ordre constitutionnel actuel. La première question est celle de savoir à qui profite cette scission ou confusion ? Interrogation pertinente dans la mesure où Nkunda et Bosco sont tous des alliés de Kigali. Dans le soutien que le Rwanda apporte au CNDP, il vise en premier lieu le contrôle des deux Kivu, tel que le mentionne très bien le « Plan Cohen ». Dès lors que Nkunda a manifesté des « ambitions nationales », il s’éloignait des préoccupations réelles de Kigali. Pas étonnant que « le pouvoir rwandais » le lâche pour créer un CNDP- Bis avec Bosco Ntaganda qui est en train de mieux rencontrer les préoccupations rwandaises. C’est-à-dire, que le Kivu « soit toujours plus près de Kigali ». Cette hypothèse s’inscrit encore dans le « Plan Cohen », et au-delà celui de la balkanisation de la RDC, peu importe le temps que cela pourrait prendre.[9]
Les opérations conjointes entre les FARDC et RDF contre les FDLR
Le chef d’Etat-major de l’armée rwandaise a séjourné à Kinshasa dans le cadre des futures opérations conjointes entre les FARDC et les RDF (l’armée rwandaise) contre les FDLR.Ces opérations conjointes suscitent certaines inquiétudes. D’abord, ces opérations entre deux armées dont l’une a une supériorité de feu évidente, en l’occurrence, l’armée rwandaise, alors que les FARDC souffrent d’un manque d’expertise et de motivation. Tout porte a croire que ce sont les militaires rwandais qui vont mener les opérations sur terrain et que l’armée congolaise assumera le rôle secondaire. Ensuite, vu le déploiement des FDLR sur le territoire congolais (Lubero, Walikale, Masisi ; Rutshuru, Maniema et plusieurs localités du Sud-Kivu), il se révèle que ces opérations prendront des années et exigent des moyens matériels et humains importants. Conséquence, l’armée rwandaise va s’installer pendant un temps relativement long en RDC.Aussi, faut-il souligner que les opérations conjointes menées par l’armée congolaise, soudanaise et ougandaise sur le territoire congolais ont déjà coûté la vie de plusieurs centaines de personnes parmi les civils congolais et, probablement, donné l’occasion à l’Ouganda de Museveni de réoccuper la province orientale où sont concentrées les richesses minières et pétrolières. Autre inquiétude, les armées congolaise et rwandaise tiennent à neutraliser les FDLR, alors que le CNDP de Nkunda n’est même pas concerné, surtout quand on sait que ce mouvement est soutenu par l’armée rwandaise.
Au regard de ce qui se passe dans la région des Grands Lacs, l’homme averti ne peut-il pas penser que le plan évoqué par Herman Cohen et repris dans Jeune Afrique du 21 décembre 2008 est en train de se concrétiser et qu’effectivement le Rwanda est occupé à prendre le contrôle de l’Est de la RDC pendant que les Congolais se font distraire par des choses sans importance.[10]
PAIX POUR LE CONGO Strada Cavestro n°16 Loc. Vicomero 43056 San Polo – Torrile (PR)Italie tel-fax : 0521/314263
E-mail : muungano@libero.it
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