Opération Turquoise au Rwanda
Un rapide résumé
des éléments essentiels.
Suite à l’assassinat de 10 soldats belges le 10 avril, les Nations Unies, inexplicablement, décident de retirer la majorité des 2.500 soldats de la MINUAR 1 mise en place dans le cadre des accords d’Arusha, ne laissant que quatre cents soldats aux ordres du général canadien Roméo Dallaire.
Pendant les deux mois qui suivent, dans l’indifférence de la communauté internationale, des bandes formées de civils ou de militaires hutus incontrôlés continuent de massacrer leurs concitoyens tutsis. Elles sont appelées à la « défense populaire » sous les incitations des chefs de milices, relayées par la radio. Plusieurs centaines de milliers de personnes d’ethnies tutsi et hutu sont alors massacrées, la plupart à l’arme blanche.
Début juin, un grand nombre erre encore pour fuir les tueries. Certains de ces survivants ont trouvé un asile précaire dans des camps placés sous la protection symbolique d’organisations caritatives, d’autres se terrent en attendant la fin des combats et du génocide. Tous souffrent de maladies, de malnutrition et parfois de blessures nécessitant soins et médicaments, les organisations humanitaires ayant déserté le pays en raison de l’insécurité.
Devant l’étendue de ces massacres, l’absence de réaction de la communauté internationale et l’impact de ces actes de violence sur l’opinion publique, la France, le 19 juin, propose alors aux Nations Unies d’intervenir.
Le 22 Juin le Conseil de Sécurité vote la résolution 929 donnant mandat à la France de prendre le commandement d’une force multinationale, avec des pays africains, pour arrêter les massacres au Rwanda. Les termes de la mission, placée sous le chapitre VII de la charte des Nations Unies, sont les suivants : « assurer, de manière impartiale, la sécurité et la protection des populations au Rwanda ». A la demande de la France, la durée de l’opération est limitée à deux mois, montrant ainsi la volonté de ne pas s’implanter dans le pays, tout en permettant à la communauté internationale de gagner les délais nécessaires à la mise sur pied d’une nouvelle force de l’ONU, la MINUAR II.
2. Déroulement de l’opération :
Le poste de commandement de l’opération, aux ordres du général Jean Claude Lafourcade , est placé, en accord avec les autorités zaïroises, à Goma au Zaïre. Ceci démontre la volonté de ne pas s’implanter au Rwanda tout en restant à proximité de la zone d’engagement.
La force Turquoise regroupe 3.000 hommes dont 500 provenant de sept nations (Sénégal, Guinée-Bissau, Tchad, Mauritanie, Egypte, Niger et Congo). Elle dispose d’une bonne capacité de combat, essentiellement pour assurer sa sécurité dans un contexte très incertain étant données les déclarations belliqueuses du FPR à l’égard de la France et les réactions imprévisibles des forces armées rwandaises (FAR). Son déploiement s’effectue progressivement en une dizaine de jours, exclusivement par voie aérienne, avec l’acheminement de 8.000 tonnes de fret.
L’arrêt des massacres :
Cette première phase, jusqu’au 7 juillet, est particulièrement délicate : moyens opérationnels encore très limités, absence de renseignements fiables sur l’état des forces, que ce soient les FAR ou le FPR , provocations envers nos unités avancées. Le mandat des Nations Unies et les instructions reçues imposent une stricte impartialité. Il faut donc éviter le contact frontal avec le FPR mais aussi avec les FAR dépitées de n’être pas soutenues par l’armée française.
Dés le 23 juin, les forces spéciales assurent la protection de plus de 10.000 tutsis au camp de Niarushishi, proche de Cyangugu, dans le sud ouest du Rwanda. Au risque d’entrer en contact avec le FPR et compte tenu des besoins humanitaires pressants, la force étend progressivement son action à l’intérieur du Rwanda pour extraire les personnes menacées, arrêter les massacres en cours et protéger les populations.
Les barrages de miliciens sont démantelés et il est procédé au désarmement. Toutefois, les principaux responsables des massacres ont déjà fui à l’étranger. Les unités s’engagent au nord à partir de Goma en direction de Kibuyé et au sud à partir de Bukavu jusqu’à Gikongoro puis Butaré d’où, le 3 juillet prés de mille personnes dont 700 orphelins sont évacuées. La rencontre avec le FPR se produit alors et se traduit par un violent accrochage.
Pendant cette période, la protection presque exclusive de Tutsis menacés, l’intervention contre les milices armées et l’absence de soutien apporté aux FAR entraînèrent une grande désillusion au sein des forces gouvernementales et de la population hutu. La force Turquoise, tout en neutralisant les milices, décide d’agir progressivement dans le désarmement afin d’éviter une réaction hostile généralisée.
La zone humanitaire sûre :
Après la rencontre avec le FPR à Butaré, les Nations Unies décident de créer une zone humanitaire sûre (ZHS). Celle-ci s’inscrit parfaitement dans le cadre juridique des résolutions de l’ONU sur le Rwanda. Elle permet d’assurer la protection, dans le sud ouest du pays, d’environ 3 millions de personnes dont plus d’un million qui fuyait devant l’avance du FPR. Cette zone s’étend sur 4.500 kilomètres carrés. Elle est délimitée en fonction de l’état des forces sur le terrain et arrêtée avec l’accord de toutes les parties.
Cette phase, jusqu’à fin juillet, consiste à se déployer dans la ZHS, à en assurer le contrôle et à désarmer les milices et les quelques unités FAR qui s’y trouvent ou qui tentent de s’y réfugier. Les tentatives de pénétration du FPR dans la ZHS sont immédiatement contrées par la force Turquoise et cessent progressivement. La détermination, à défendre l’intégrité de la ZHS et la fermeté face au FPR contribuent à rassurer les populations hutues et à faciliter le désarmement. Outre son engagement direct dans l’assistance humanitaire, la force crée ainsi rapidement les conditions de sécurité permettant le retour et l’action des ONG.
Au nord, à l’extérieur de la ZHS, alors que les FAR vaincues n’opposent plus de résistance, le FPR, refusant tout cessez le feu demandé par les Nations Unies, les FAR et le commandant de Turquoise, continue sa progression en terrorisant les populations qui refluent en masse vers le Zaïre en se mêlant aux FAR en retraite. Celles-ci sont désarmées par les Zaïrois à la frontière. Mais cet afflux d’un million de réfugiés arrivant à Goma provoque une nouvelle catastrophe humanitaire avec plus de 80.000 victimes d’une épidémie de choléra. La force Turquoise, s’investissant sans compter, prend une part essentielle à l’assistance humanitaire rendue nécessaire par ce drame.
Le 17 juillet, les combats cessent, le FPR n’ayant plus d’adversaires capables de lui résister.
Fixation des populations au Rwanda :
La dernière phase, jusqu’au 22 août, consiste à stabiliser la ZHS, à participer à l’assistance humanitaire et à préparer la relève par la MINUAR II. Des structures administratives provisoires, s’appuyant sur des personnes peu impliquées dans les massacres, sont mises en place pour rétablir les conditions nécessaires à un fonctionnement local normal. Le principal problème est alors de convaincre la population de ne pas fuir au Zaïre, compte tenu du départ annoncé de la force Turquoise. En effet, la méfiance des hutus à l’encontre de la MINUAR et leur crainte d’une pénétration du FPR dans la zone, immédiatement après le départ de la force risquaient d’entraîner un exode massif de plus de deux millions de personnes vers le Zaïre. Une intense campagne d’information est alors mise en oeuvre pour inciter les populations à rester sur place, et un nouveau drame humanitaire est ainsi évité.
Après avoir passé le relais aux premières unités de la MINUAR II, la force turquoise quitte le Rwanda le 21 août 1994 conformément au mandat des Nations Unies.
3. Le Bilan :
Turquoise n’a pas empêché le génocide, déjà perpétré pour l’essentiel, mais cette opération a permis d’y mettre fin. Au total, plusieurs dizaines de milliers de vies ont été sauvées, de tutsis comme de hutus.
Aussi important a été le rétablissement des conditions, notamment de sécurité, permettant à l’ensemble des moyens humanitaires, en particulier aux ONG, d’intervenir.
En limitant l’exode des populations et en les fixant dans la zone humanitaire, la déstabilisation du Zaïre et les épidémies ont pu être évitées. Cela n’a malheureusement pas été le cas au nord de la zone Turquoise où plus d’un million de personnes terrorisées ont fui au Zaïre devant l’avancée du FPR du Général Kagamé.{mosimage}
A l’issue de Turquoise, ce bilan, très positif, a été largement salué par la communauté internationale qui demandait une prolongation du mandat de la force. Mais la France a décidé de respecter les termes de la résolution 929 et a passé le relais à la MINUAR II dans les délais fixés.
4. L’opération Turquoise à nouveau sous les feux de l’actualité :
En avril 2005, plus de 10 ans après ces événements, des plaintes, étonnamment tardives, sont déposées auprès du Tribunal pénal aux armées par des citoyens rwandais contre l’action de militaires français qui se seraient livrés à des actes de «complicité de génocide » et de «crimes contre l’humanité ». Parallèlement, des campagnes de presse très bien orchestrées remettent en cause la finalité de l’opération Turquoise.
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