RWANDA : Comment préparer un procès gênant
ou/et Qui ne dit mot consent !
Le 23 juin dernier, un autre rwandais a disparu, dans des conditions devenues hélas assez habituelles au Kenya. Cet ancien enquêteur pour la défense du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) est le dernier en date – the last but not the least – d’une longue série de crimes commis dans le silence de la presse bien-pensante occidentale mais aussi avec le plus grand calme, c’est-à-dire avec l’approbation, des ONG dont nous avons pourtant l’habitude d’entendre la parole haut et fort ….dans certains cas, soigneusement choisis.
Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE est né à Gisenyi (Rwanda) le 24 mars 1962. Après ses humanités à Shyogwe, il a intégré en 1982 l’Ecole Supérieure Militaire (ESM) à Kigali dont il est sorti en 1986 pour servir dans la Gendarmerie. Il a reçu d’octobre 1986-juin 1987 la formation initiale d’Officier de Police Judiciaire (OPJ). Puis, de 1989 à 1990, il a reçu en Egypte une formation complémentaire en « Sécurité Nationale et Lutte Anti-Terroriste » avant de faire deux stages aux Etats Unis au Defense Language lnstitute de Lackland Air Force Base, Texas et à l’US Army Intelligence Center and School (USAICS), Arizona.
En juillet 1994, au moment où le FPR de Paul Kagame ramassait un pouvoir noyé dans le sang, Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE avait le grade de Capitaine. Chassé de son pays, il a continué à se mettre au service de la Justice, internationale cette fois, en exerçant le dangereux métier d’enquêteur pour la défense des accusés devant le TPIR d’Arusha. Ce métier est dangereux car on ne compte plus les enquêteurs de la défense, ni même les avocats de la défense, emprisonnés à Arusha sur ordre du Procureur près le TPIR ou à Kigali sur ordre de Kagame. Tout le monde se souvient de Peter ERLINDER, avocat US qui avait eu l’outrecuidance d’aller faire son métier à Kigali et a été incarcéré dès le 28 mai 2011, lendemain de son arrivée, « en application des lois du pays sur l’idéologie génocidaire[1] ».
Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE avait jusque-là échappé à ces délicates attentions et vivait au Kenya, pays voisin du Rwanda où assassinats et enlèvements de réfugiés rwandais se succèdent avec régularité et dans l’impéritie la plus totale des autorités policières et judiciaires locales et internationales.
Ce jour-là, 23 juin 2015 entre 19h00 et 20h00 heures de Nairobi, Chrysostome Ntirugiribambe, a été enlevé à proximité de chez lui, alors qu’il venait de garer sa voiture sur le marché populaire de Tana-Zimmerman, où il faisait ses courses habituellement et où, client régulier, il était connu par les commerçants locaux. Sa fille Chrystella a raconté pour Rfi Afrique : «Une voiture noire a surgi et s’est garée quelques mètres plus loin. Trois personnes sont sorties de la voiture et se sont rapprochées de mon père. Ils l’ont arraché de force. Les gens qui étaient tout autour étaient ébahis, ils criaient. » Les agresseurs ont alors tenté de se présenter comme policiers : «Mais lorsque les témoins leur ont demandé de montrer leurs cartes, ils n’ont pas été en mesure de le prouver. Ils ont ensuite sorti des pistolets et tiré en l’air pour disperser la foule…Ils ont pris mon père et l’ont jeté dans leur voiture. Les témoins ont averti la police qui est arrivée deux heures plus tard sur les lieux [2]».
Un modus operandi qui rappelle fortement la disparition en novembre dernier d’un témoin de l’attentat commis le 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel rwandais. Proposé par les parties civiles au juge d’instruction français Trevidic qui a refusé d’assurer sa protection en lui garantissant l’anonymat comme on le lui demandait, Emile Gafirita était semble-t-il en contact avec Chrysostome Ntirugiribambe. Ni l’un ni l’autre n’a été à ce jour retrouvé. Et on ne sait si les deux enlèvements sont en lien avec l’instruction conduite à Paris ou si le second, celui de Chrysostome, est lié à l’arrestation de Karenzi Karake à Londres, dans le cadre de l’instruction judiciaire conduite en Espagne.
Chrytella dénonce[3] ce type de disparitions et appelle à une mobilisation des organisations internationales : « Les organisations internationales de la société civile devraient se mobiliser pour le retrouver. On pourrait répondre à certaines zones d’ombres. Il n’est pas le seul à avoir disparu dans des conditions aussi mystérieuses, insiste-t-elle (NOTA : Cf. infra : Gafirita et alii[4]). Donc si des organisations telles qu’Amnesty International ou encore la FIDH pouvaient s’organiser pour s’occuper de tels cas, cela éviterait que d’autres personnes disparaissent dans de telles conditions. Cela permettrait peut-être de le retrouver et comprendre ce qui lui est arrivé. ». On ne peut effectivement que s’étonner devant le silence – valant approbation ?- de ces organisations.
Cette situation est ancienne et a toujours en toile de fond la nécessité absolue de couvrir les crimes de Kagame dans laquelle se trouvent – pour survivre – ceux qui depuis 1993 au moins ont fait alliance avec le diable. Dès 1995, Kagame a durement éliminé ses compagnons de route qui, après l’avoir aidé dans sa prise de pouvoir, ont cru de leur devoir de dénoncer ses crimes, ou même tout simplement les crimes commis par le FPR que Kagame se refusait à empêcher. Le plus connu d’entre eux est probablement Seth SEDASHONGA[5], ancien ministre de l’intérieur de Kagame assassiné[6] à Naïrobi le 16 mai 1998 pour avoir eu le tort de dénoncer le génocide des hutu.
On ne peut oublier les officiers de la Gendarmerie rwandaise qui a payé un lourd tribut :
- mon camarade Augustin Cyiza[7] , que j’ai eu l’honneur de côtoyer à Kigali et avec qui, étant du même grade, j’ai tenté de construire une gendarmerie et une justice républicaines , impartiales et respectueuses des droits de l’homme ;
- le major Muhirwa[8] que j’avais eu le loisir de proposer comme chef de l’unité de police judiciaire que nous refondions en 1992 et qui est mort empoisonné quelques mois plus tard ;
- L’adjoint de Muhirwa, le capitaine Pascal Kayihura mort dans les geôles de Kagame (camp de rééducation du Bugesera) pour avoir refusé de porter de faux témoignages contre la France et les officiers français[9] ;
- Etc.
A l’heure où les mâchoires de l’étau de la justice se rapprochent – enfin et mollement – des criminels qui entourent Kagame, il est urgent pour celui-ci de « préparer » les procès à venir selon les bonnes vieilles méthodes particulièrement efficaces. Et celles-ci passent par le conditionnement les témoins potentiels : assassinat des témoins « contre » et« éducation » des témoins « pour ».
La seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir combien de temps encore se perpétuera le silence, voire la complicité active, des media, ONG, voire de certains magistrats, si prompts par ailleurs à dénoncer et condamner les crimes réels ou supposés du précédent régime rwandais. Ont-ils tout simplement les plus grandes difficultés à reconnaître qu’ils se sont trompés – ou qu’on les a trompés – en exagérant les crimes des uns pour mieux occulter ceux des autres ? Allons, allons, mesdames et messieurs, certains ont eu le courage de faire cet examen de conscience. Dans les conditions actuelles, on comprendra que je ne cite pas les noms des survivants et que je me contente d’un exemple parmi d’autres : celui d’Alison Desforges qui – bien qu’ayant pourfendu en 1993 le » régime Habyarimana » au-delà du raisonnable – était interdite de séjour au Rwanda[10] lorsque, le 12 février 2009, son avion s’est écrasé aux USA.
Aujourd’hui, la vérité avance inexorablement – pas en France, hélas mais à la BBC, en Espagne, au Canada, etc. – et beaucoup de postures par trop systématiquement pro-Kagame vont devenir tout simplement intenables en confinant à la complicité!
[1] Déclaration de la République du Rwanda à propos de l’arrestation de C. Peter Erlinder – Capital.fr 31 mai 2010- http://cec.rwanda.free.fr/informations/Peter-Erlinder.html
[2] http://www.rfi.fr/afrique/20150710-kenya-ancien-enqueteur-tpir-disparu-depuis-deux-semaines/
[3] Rfi Afrique op.cité
[4] Ainsi, par exemple, de la dernière tentative d’enlèvement de Vincent Ndikumana, Secrétaire de l’ancien Ministre Seth SENDASHONGA, a eu lieu le vendredi 5 juin 1998 vers 19h dans le quartier de Kilimani à NAIROBI (Kenya) alors qu’il venait de quitter le domicile de la famille Seth SENDASHONGA pour rentrer chez lui- See more at: http://www.cliir.org/detail/com0371998-tentatives-denlevement-du-secretaire-particulier-de-feu-seth-sendashonga-a-nairobi.html#sthash.V6W3kTAY.dpuf
[5] https://www.youtube.com/watch?v=gBOYbat3V4E&feature=player_detailpage
[6] http://www.veritasinfo.fr/article-rwanda-temoignage-accablant-des-crimes-de-paul-kagame-au-rwanda-et-l-assassinat-de-seth-sendashonga-117446293.html
[7] AUGUSTIN CYIZA. UN HOMME LIBRE AU RWANDA. Collectif. Ed. Karthala, 218 p.
[8] Cet officier ayant été condamné peu auparavant pour avoir refusé d’ouvrir le feu sur une manifestation non armée, j’avais proposé le major Muhirwa pour ce poste comme un exemple de « normalisation » . Cette proposition – un brin provocatrice en 1992-– avait été acceptée par le Chef d’Etat-Major de la Gendarmerie.
[9] Certains en Belgique portent une lourde responsabilité dans cet assassinat, pour avoir initié la tentative de manipulation qui devait être fatale à cet officier. Pascal KAYIHURA avait de plus le tort irréfragable de connaître parfaitement les dossiers d’instruction concernant les assassinats par le FPR des hommes politiques GATABAZI et GAPIYSI. Son sort était donc scellé…sauf à se renier, ce qu’il a refusé.
[10] En décembre 2008, Alison Desforges avait, une fois de plus, été refoulée à son arrivée à Kigali. Human Rights Watch avait alors publié une lettre ouverte réclamant au procureur du TPIR l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre commis par le Front patriotique rwandais.