UN TEXTE DE GÉRARD LONGUET, ANCIEN MINISTRE DE LA DÉFENSE, À PROPOS DU RWANDA
S’il est une spécialité française établie, c’est bien l’autodénigrement. Elle ne connaît
aucune limite, mais choisit ses thèmes cependant avec partialité. À un étudiant auquel
on demandait de résumer l’histoire de son pays en deux mots, ce dernier répondai t «
Colonisation-Collaboration ». Il était dans le ton ! Rares sont les personnages ou les
situations historiques qui trouvent grâce aux yeux des démolisseurs de la mémoire
collective.
Il s’en est fallu ainsi de presque rien pour que la commémoration de la « Grande Guerre » soit
d’abord un hommage rendu aux quelques dizaines de fusillés pour l’exemple, complété par
une fresque des « planqués » et des « nouveaux riches ». Le sacrifice de tout un peuple qui
lutte sur son sol envahi avait été oublié. On parle toujours de boucherie, ce qui est vrai car les
guerres sont atroces. Mais rien n’obligeait les troupes de Guillaume II à violer la neutralité
belge pour contourner par l’Ouest nos armées qui, à ma connaissance, défendaient leur
territoire.
L’autodénigrement n’est pas neutre, il n’est pas aléatoire. Il est construit.
Il s’agit de nous faire douter de nous et de nos actions. Et lorsqu’il s’agit d’un événement
complexe où le comportement français n’est remis en cause que par des minorités identifiées,
ce sont ces minorités qui donnent le ton ; les professionnels de l’autodénigrement écriront
alors avec délectation une nouvelle page noire au passif de la France qui, dans leurs yeux, ne
peut être que coupable !
L’affaire rwandaise est exemplaire.
Pour le vingtième anniversaire de l’attentat qui coûta la vie notamment aux deux présidents
du Rwanda et du Burundi le 6 avril 1994, l’actuel président rwandais, Paul Kagamé, nous a
proprement agonis d’injures dans un discours officiel qu’il s’est bien gardé d’annoncer, e t tout
particulièrement à Bruxelles lors de la rencontre Europe-Afrique quelques jours plus tôt. À
cette occasion, le président français s’était brièvement entretenu avec lui, sans que soit
évoquée, semble-t-il, l’annonce de cette agression verbale, contre sens historique.
Pour autant, le conflit est connu : le 5 août 2008, le ministre de la Justice rwandais a publié un
invraisemblable communiqué imputant directement à la France et à ses soldats la
responsabilité des massacres de 1994. Pour le vingtième anni versaire, en avril 2014 donc, les
mêmes accusations sont réitérées par le président Kagamé. Un silence gêné caractérise alors
la France. Seuls les journalistes et ONG qui entretiennent depuis 20 ans le procès contre notre
armée sont repris dans les grands médias. L’antienne est connue. « C’est la Françafrique »,
cette turpitude néocoloniale, née des réseaux de Jacques Foccart, poursuivie par les diamants
de Bokassa et renouvelée par « Papa m’a dit » selon le surnom de Jean-Christophe Mitterrand.
Peu importe que des hommes d’opinions différentes mais également respectés comme Paul
Quilès ou Alain Juppé s’indignent publiquement. Peu importe qu’une commission
parlementaire, en 1998, dont le rapporteur était Bernard Cazeneuve, ait consacré des centaines
d’heures d’auditions et ait produit des centaines de pages de conclusions, sans équivoques,
concernant notre armée, peu importe que le Tribunal d’Arusha ait exonéré les principaux
inculpés rwandais de la préméditation de génocide, peu importe que le FPR de Paul Ka gamé
ait envahi à plusieurs reprises et victorieusement au printemps 1994 le Rwanda où son soutien
populaire était parfaitement minoritaire, peu importe tout cela, il faut que la France soit
coupable. Et ne pouvant s’attaquer au Président en charge du dossier, François Mitterrand, ou
aux ministres qui suivirent le dossier, PS pour les uns comme Marcel Debarge ou Paul Quilès,
de droite pour les autres comme Alain Juppé, François Léotard ou Jacques Pelletier, les
détracteurs s’attaquent à l’armée française.
Or cette dernière fut la seule à intervenir au moment de la crise aiguë. Les troupes onusiennes
restèrent prisonnières de leur cantonnement. Les coopérants militaires français dont le départ,
au terme des accords d’Arusha, précipita la nouvelle offensive du FPR contre le
gouvernement légal, privé par l’attentat de son chef institutionnel, n’étaient que quelques
dizaines, hors d’état de jouer en ce printemps un rôle militaire majeur, hors l’évacuation de
nos compatriotes.
C’est la France seule qui demanda et obtint une résolution des Nations unies pour mettre en
place une zone de sécurité, et ce furent nos soldats, marsouins en tête, qui établirent le premier
espace, épargné pour l’essentiel, par les tueries.
Sans le courage de quelques officiers, sans l’obstination de quelques spécialistes comme
Bernard Lugan, sans les « coups de gueule » des ministres concernés, l’histoire voulue par les
détracteurs serait définitivement établie.
L’histoire de la France est un combat, un combat pour rétablir la vérité contemporaine des
événements. Oui, l’esclavage a existé. Il était le fait d’une toute petite minorité de Français
qui exerçaient la traite négrière dans un contexte heureusement disparu, et, en effet, on doit
préférer l’abbé Grégoire à Napoléon sur ce point.
Oui, la France a été battue en juin 1940, mais près de 100 000 soldats français morts, comme
les plus de 80 000 Allemands tués en six semaines de combats effectifs, témoignent de la
rudesse des combats. À cet instant, les Russes étaient les alliés des Allemand s, tout comme les
Italiens, alors que les Britanniques rapatriaient leur corps expéditionnaire grâce au sacrifice
des nôtres à Dunkerque et que les Américains vendaient leurs armes, sous réserve d’être payés
« cash » et d’être libérés du transport… Et c’est la France que l’on voudrait coupable alors
que ses 40 millions d’habitants ont supporté seuls le choc.
Certes, le Rwanda n’est pas le principal sujet français, mais l’Histoire de notre pays ne doit
subir aucune concession à la mauvaise foi. C’est l’homma ge que nous devons à nos armées.
Et c’est pourquoi il ne faut laisser aucun doute et défendre l’honneur de nos soldats
injustement attaqués. Une France sans fierté n’a pas d’avenir. Avant la repentance, la
connaissance des faits. Et les faits au Rwanda militent pour l’honneur du pays.
Gérard Longuet