Rwanda et justice espagnole
L’Audience nationale, principale instance pénale espagnole, poursuit ces 40 militaires, parmi lesquels 11 généraux, pour "génocide, crime contre l’humanité et terrorisme".
L’actuel président Paul Kagame, dont l’arrivée au pouvoir en 1994 avait mis fin au génocide rwandais, n’est pas poursuivi en raison de l’immunité que lui confère son statut présidentiel, précise l’Audience nationale.
Le génocide de 1994 avait fait selon l’ONU environ 800.000 morts, majoritairement parmi la minorité tutsie ainsi que chez les Hutus modérés.
Mais la justice espagnole estime que les hommes de Kagame ont sciemment déstabilisé le régime extrémiste hutu de Juvenal Habyarimana en place à l’époque, en commettant des actes terroristes avant de s’emparer du pouvoir.
Il existe des "indices rationnels" selon lesquels "à partir d’octobre 1990, un groupe de structure politico-miliaire, fortement armé et organisé, a entamé une série d’actions criminelles, à partir de l’Ouganda, sur le territoire du Rwanda", selon l’acte de renvoi.
Le coeur de cette structure, l’APR et le FPR (Armée patriotique rwandaise et et Front patriotique rwandais), est composé essentiellement de Tutsis réfugiés en Ouganda avant 1990, explique la justice espagnole.
Elle leur reproche toute une série d’attaques et d’attentats sur le territoire rwandais, notamment contre des leaders hutus, ce qui, selon l’Audience nationale, a déclenché le génocide contre les Tutsis.
L’APR/FPR "a commis des attaques sélectives contre différents leaders intellectuels hutus afin de les éliminer de la vie sociale, provoquer la terreur et tester la réaction de la population civile (qui a son tour commettait des tueries en représailles)", selon l’acte de renvoi.
"Les massacres et attaques contre les personnes d’ethnie tutsie se sont systématiquement produites après chaque assassinat d’un leader hutu ou d’attaques contre la population hutue dans le nord du pays", ajoute l’acte.
La justice espagnole affirme que "durant les années 90, plus de quatre millions de Rwandais ont été assassinés ou ont disparu dans le cadre d’un plan d’extermination pour raisons ethniques et/ou politiques". Un chiffre jusqu’à présent jamais évoqué.
L’Audience nationale accuse aussi les militaires de Kagame d’avoir "pris le pouvoir par la force (…), prenant le contrôle absolu de la structure de l’Etat et mettant en place à partir de ce moment-là (après le génocide) un authentique régime de terreur".
La justice espagnole poursuit les 40 militaires pour avoir "commis des crimes contre la population civile, nationale et étrangère, sélectionnée pour des raisons ethniques et/ou politique (…) sous prétexte d’assurer la sécurité".
Elle s’octroie une compétence universelle pour les faits de "génocide" et de "crimes contre l’humanité", ce qui avait notamment permis au juge Baltasar Garzon d’obtenir en 1998 l’arrestation à Londres de l’ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet.
La justice espagnole avait démarré son enquête en 2005, portant initialement sur la mort de neuf ressortissants assassinés au Rwanda entre 1994 et 2000, à la suite d’une plainte du Forum international pour la vérité et la justice dans l’Afrique des Grands Lacs.
En 2006, un magistrat français avait émis neuf mandats d’arrêt contre des proches du président Kagame, qu’il soupçonne d’être impliqués dans le meurtre de l’ancien chef de l’Etat Juvenal Habyarimana, dont la mort a marqué le début du génocide.
Kigali avait ensuite rompu ses relations diplomatiques avec Paris.
Lire l’arrêt de poursuite (version française)