Visite de Kagame en France : faut-il boire le calice jusqu’à la lie?
Dans mes trois livres et dans mes articles, j’ai toujours cherché à dénoncer cette accumulation de mensonges qui, malheureusement, a reçu un très bon accueil en France et ailleurs, dans certains milieux. À force d’être répétés à longueur d’articles, d’interviews ou de livres, les mensonges, même les plus éhontés, finissent par devenir des « vérités historiques ». Tous ceux qui oseraient les contester sont immanquablement trainés dans la boue, voués à l’opprobre, accusés d’être des « négationnistes », voire même des « génocidaires ».
Dans mes écrits, j’ai toujours rappelé que la guerre du Rwanda fut déclenchée par un groupe armé majoritairement tutsi issu de l’armée du pays voisin, l’Ouganda. C’est ce groupe qui, le 1er octobre 1990, attaqua le Rwanda, provoquant ainsi une guerre qui devait durer près de quatre années, avant de se propager au Zaïre voisin, où elle continue à faire des victimes encore aujourd’hui. J’ai également toujours souligné que c’est ce groupe, dont Paul Kagame prit la tête (après l’élimination physique de ses premiers dirigeants), qui commit les premières atrocités de cette guerre qui en compta tant. Des massacres de masse ont été commis par les deux camps. Mais certains furent plus « médiatisés » que d’autres, du fait de la présence de journalistes dans la zone contrôlée par le gouvernement du Rwanda, et de leur absence totale dans la zone occupée par le FPR, le groupe armé dirigé par Paul Kagame.
Certes, les massacres de civils devaient atteindre leur paroxysme durant les épouvantables « cent jours » qui suivirent l’assassinat du président de la République Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Lequel assassinat fut perpétré par le FPR, sur l’ordre de Kagame qui fit de nombreuses tentatives pour en faire endosser la responsabilité aux « extrémistes hutu ». Ce mensonge historique revêt une importance capitale. C’est Paul Kagame qui fit abattre l’avion présidentiel causant la mort du président (et de celles de son collègue burundais, de hauts responsables rwandais et de l’équipage français) et qui porte ainsi la lourde responsabilité de la reprise des hostilités et de l’engrenage diabolique qui porta la haine et la fureur à leur comble, provoquant des massacres d’innocents à Kigali puis dans l’ensemble du pays.
Alors que le régime Habyarimana était décapité par la mort brutale de son chef et de celle de ses principaux lieutenants, le pays plongeait dans une horreur sans précédent. Le FPR, après avoir rompu le cessez-le-feu garanti par les accords d’Arusha, lança une offensive générale, planifiée de longue date. Cela lui permit de prendre rapidement le contrôle de la plus grande partie du territoire. Alors que dans les zones encore contrôlées par les forces gouvernementales, des milices hutu massacraient des civils tutsi et des Hutus suspectés de tiédeur, le FPR, loin des caméras des médias internationaux, commettait également des massacres à grande échelle dans les territoires qu’il « libérait ».
Si les horreurs commises par les vaincus furent largement documentées, celles commises par les vainqueurs furent délibérément cachées, parfois même mises sur le compte des vaincus. Dès l’installation du nouveau régime, en juillet 1994, on s’efforça de réécrire l’Histoire. On présenta le FPR comme un groupe de gens ayant pris les armes afin de mettre un terme au génocide en cours. La sinistre réalité est que c’est ce groupe de gens qui a déclenché cette guerre conduisant au génocide. Le FPR – et en premier lieu son chef Paul Kagame – porte donc la responsabilité morale du génocide, et il partage avec les massacreurs des deux camps celle de l’avoir perpétré. Si les épouvantables massacres commis au Rwanda par les milices hutu prirent fin avec la défaite de ces derniers, ceux commis par les troupes du FPR se poursuivirent durant les mois et les années qui suivirent la fin officielle de la guerre (juillet 1994).
À la fin de septembre 1996, ils s’étendirent au Zaïre voisin, avec l’invasion de ce pays par les troupes de Paul Kagame. Là, des centaines de milliers de réfugiés hutu furent massacrés. Certain survivants n’eurent d’autre choix que de rentrer au Rwanda, où ils eurent à subir les représailles du nouveau régime, alors que d’autres furent impitoyablement traqués et abattus lors d’un exode sans fin à travers la grande forêt zaïroise. Les civils zaïrois furent eux aussi victimes de ce conflit qui n’était pas le leur. L’armée de Kagame suscita la création de groupes armés zaïrois à leur solde, qui servirent de supplétifs et participèrent aux massacres. Cette guerre d’invasion, camouflée sous le digne nom de « guerre de libération » de ce que l’on devait rebaptiser la « République Démocratique du Congo » permit à Kagame, avec la complicité de son allié ougandais, de chasser le dictateur Mobutu de Kinshasa et de le remplacer par l’homme de leur choix, Laurent-Désiré Kabila. En 1998, ce dernier se montra trop indocile au goût de ses parrains rwandais et ougandais et une nouvelle guerre fut lancée, visant son élimination. Cette guerre ne prit officiellement fin qu’en 2002 ; elle servit de prétexte à l’accomplissement de nouveaux massacres à grande échelle. Depuis ces massacres se perpétuent car de nombreux groupes armés continuent à opérer dans l’est de la RD Congo. La population de cette région martyre n’en a malheureusement pas fini avec les exodes à répétition, la famine, les tueries et les viols de masse. Quatre ou cinq millions de Congolais seraient morts depuis le début de ce conflit déclenché par Paul Kagame, victimes des conséquences directes ou indirectes de cette interminable guerre, la plus meurtrière depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Durant toute la durée de la tragédie congolaise, les forces d’occupation rwandaise et ougandaise et leurs collaborateurs locaux se sont livrés au pillage massif des immenses ressources naturelles du Congo/Zaïre, un pays potentiellement très riche : bois précieux, or, cassitérite, coltan, diamants et autres. C’est ce pillage à grande échelle qui a permis à Kagame de soutenir l’effort de guerre du petit Rwanda, tout en développant ce dernier, provoquant l’admiration sans bornes de ses alliés anglo-saxons.
Depuis son arrivée au pouvoir, Kagame a entrepris d’éliminer la langue française, qu’il ignore, du Rwanda, pays francophone devenu anglophone par la force, et même membre du Commonwealth, alors qu’il n’a aucune histoire commune avec le Royaume-Uni. Lorsqu’il devint ministre des affaires étrangères français, en 2007, Bernard Kouchner, grand admirateur et propagandiste de Paul Kagame, mit tout en œuvre pour renouer des relations entre la France et le Rwanda. Il y est parvenu sans grandes difficultés, le président Sarkozy s’étant aisément laissé convaincre, heureux de pouvoir se démarquer de la politique de son prédécesseur Jacques Chirac. Le chef de l’Etat français effectua même une visite éclair à Kigali en 2010, durant laquelle il ne fut pas le moins du monde gêné d’être photographié en compagnie d’officiers rwandais faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par le magistrat français Jean-Paul Bruguière ! Simple ignorance des dossiers mêlée à une méconnaissance de l’histoire récente des relations entre les deux pays, ou réelle volonté de boire le calice de l’humiliation nationale jusqu’à la lie, pour le simple plaisir de régler des comptes politiciens ?
Le départ de Kouchner et son remplacement par Alain Juppé, qui occupait les mêmes fonctions à l’époque du génocide rwandais, fit naître, parmi ceux qui connaissaient la vérité, l’espoir de voir le terme des compromissions avec le dictateur de Kigali. Cet espoir fut de courte durée, puisque, comme indiqué au tout début de cet article, le général Paul Kagame va effectuer une visite officielle en France, ce pays qu’il exècre tant et qu’il n’a eu de cesse de vilipender, de combattre et de couvrir d’opprobre international depuis deux décennies.
Inutile de revenir sur les accusations sans fondement lancées contre l’armée française : sous un régime de terreur, il est très facile de « convaincre » des citoyens d’apprendre par cœur des récits inventés de toute pièce, et encore plus aisé d’amener des prisonniers à corroborer de tels « témoignages ». Le président Sarkozy aura alors l’honneur de dire un grand « welcome » au plus grand criminel de guerre actuellement au pouvoir dans le monde. Ce 12 septembre 2011, j’espère bien me trouver loin, très loin, de la France !
Hervé Cheuzeville,22 juillet 2011
(auteur de trois livres: « Kadogo, Enfants des guerres d’Afrique centrale », l’Harmattan, 2003; « Chroniques africaines de guerres et d’espérance », Editions Persée, 2006; « Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé », Editions Persée, 2010)
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