Le bal des faux témoins
La tragédie du Rwanda excite la passion des faux témoins. Certains sont journalistes, ce qui naturellement aggrave leur cas. Ainsi peut-on lire aujourd’hui sous des signatures que notre conformisme qualifie d’«autorisées» une thèse honteuse selon laquelle l’armée française aurait été, dans les années 1990, une force «génocidaire».
Thèse honteuse car elle n’est pas seulement une déformation de la vérité mais très exactement sa négation. Ceux des Français qui la soutiennent, faux témoins providentiels, ne font que reprendre mot à mot, sans la précaution habituelle du conditionnel, la démarche rwandaise qui tend à faire oublier l’écrasante responsabilité des dirigeants actuels de Kigali dans le déclenchement des massacres.
Cette boue qu’il faut à tout prix rejeter parce qu’on la porte en soi, cette infamie qu’il faut faire déglutir à notre pays tout entier, ce remugle qui pue la vieille haine de soi est aujourd’hui à la mode.
C’est une mode qui s’adapte avec docilité à tous les défilés mondains, ceux dont raffolent les spectateurs de la bonne conscience. Il lui arrive de trouver parfois sa place dans les colonnes de journaux honorables.
C’est ainsi qu’abonné au journal Le Monde, dont le titre continue à évoquer pour ses lecteurs et pour moi-même une certaine forme de probité, je retrouve avec stupéfaction sous une plume française la démonstration laborieuse des autorités de Kigali tendant à faire porter à la France la responsabilité des ignominies commises au Rwanda au moment de l’opération Turquoise. « Nemo auditurpropriam turpitudinem ailegans », nous rappelle la règle de droit. Et pourtant !
!Je ne ferai que trois observations pour tenter de retrouver une certaine forme de dignité dans ce débat que certains déshonorent.
La première est simple : comme ministre d’État, ministre de la Défense, j’assume entièrement les responsabilités qui ont été alors les miennes. Que l’on n’aille pas chercher sur les épaules de tel ou tel militaire des fautes que l’autorité politique a le devoir – si elles existent – de prendre à son compte. J’éprouve, encore aujourd’hui, une très grande fierté d’avoir eu la charge d’une opération militaire, à huit mille kilomètres de nos frontières. Autorisée par l’ONU, elle a permis de sauver des milliers de vies humaines, Je ne laisserai pas, pour ma part, salir des officiers ou des soldats qui ont fait, dans des conditions très difficiles, leur devoir.
Ma deuxième observation est l’expression d’un étonnement. Comment se fait-il que le pouvoir d’aujourd’hui, à l’Élysée notamment, éprouve une timidité de jeune fille à soutenir l’honneur d’une République à laquelle il a participé ? Sa mémoire est-elle défaillante ? A-t-il le sentiment- si répandu par les temps qui courent- qu’il y aurait deux armées : celle d’avant et celle d’après ? Va-t-il bientôt présenter à M. Kagamé des excuses pour des fautes qui n’ont pas été commises ? La critique, post mortem, du président Mitterrand fait-elle partie d’un des nombreux outils de la discorde nationale ou de l’impératif de repentance ? A-t-il eu l’honnêteté de lire ce qu’ont écrit des journalistes africains (1), des responsables humanitaires, des autorités politiques ou religieuses connaissant par le cœur et la mémoire cette partie de l’Afrique ?
Ma dernière remarque est un refus. Je n’aime pas le mot « bavure ». C’est un mot d’écolier, Il laisse entendre, pour la police ou pour l’armée, qu’il y a dans un acte quelque chose qui déborde inévitablement, une maladresse, une encre ou un sang qui n’auraient pas été voulus.
Non. C’est le mot faute qui convient. Et s’il y a faute, il doit y avoir sanction. L’institution militaire, à la différence de beaucoup d’autres en France, sait ce que cela signifie.
Il y a des gens qui, par fonction, n’ont jamais les mains sales. Ils écrivent et les mots s’en vont à la rivière. C’est normal, nous disait Sartre : ils n’ont pas de mains.
1. Charles Onana, Les secrets du génocide rwandais. Enquête sur les mystères d’un président, ed. Duboiris.
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