LE GENOCIDE ET SES SUITES: TEMOIGNAGE D’UN PRÊTRE.
Nous publions, avec son autorisation, la très belle lettre du Père Joyeux s.j. Il fut un témoin direct de la réalité politique rwandaise alors qu’il était en charge de camps de réfugiés en 2005 et dut quitter le pays en urgence , sa vie étant menacée. C’est cette expérience qui lui permet d’analyser avec beaucoup de hauteur de vues la situation actuelle de la région des Grands Lacs.
Chère amie,
Je vous remercie beaucoup pour votre mail et ses pièces jointes, la référence du site concernant « Des hommes debout ». Je me sens et désire bien sûr très concerné car l’histoire tragique du Rwanda – et à partir du Rwanda – est en cours. Elle n’est pas du tout de l’ordre du passé seulement. La violence ad intra comme ad extra se prolonge dans les forêts congolaises comme au coeur de la société rwandaise d’aujourd’hui. Il faudrait ne pas oublier cela, ne pas laisser 2014 se préparer dans une orientation aussi manipulée que celle qui suscita la montée idéologique du Hutu Power certes ( je ne suis en rien un révisionniste du génocide rwandais anti tutsi) mais aussi – pour ainsi dire – d’un « tutsi power » hors des frontières du pays ( Ouganda , USA) au service d’une pression de l’angoisse, d’une reprise « à tout prix » du pouvoir à Kigali … et, ce « à tout prix » se concrétisa par l’abandon sous les machettes hutus du million de frères tutsis considérés comme des traitres et collabos qui étaient restés dans le pays sous Habyarimana et, ce qui était devenu, dans le fil trop long du temps, une « ethnocratie ».
Ce sont ces familles là , ce peuple là qui mourut, fut sacrifié dans l’orgie de sang , sexe et alcool que furent les mois d’Avril, Mai, Juin et Juillet 1994.
La marche à grands pas vers Kinshasa pour une prise du pouvoir et d’influence militaire au service d’une hégémonie économique sur les sous sols de l’Est du Congo est connue de tous. Elle ne visait que de façon tristement adjacente la poursuite des génocidaires hutus mêlés aux innocents en exode.
J’espère que vous me comprenez : j’ ai découvert au Rwanda, dans les camps où j’ai oeuvré avec goût et beaucoup d’énergies combien nous ne sommes pas, dans ce pays et toute la géo stratégie qui le concerne et l’entoure ( on devrait dire « l’enserre ») dans un western et ses simplifications classiques des bons ( les tutsis) et des méchants ( les Hutus) . Nous ne sommes pas davantage dans une belle et bonne intention de « réconciliation » sous les yeux embués de l’ONU, de l’Unesco , des Eglises , des US et autres pays ayant demandé « pardon ». A qui exactement ont ils demandé pardon ?…
C’est plus complexe, c’est davantage cynique et triste que nous le pensons. Et ceci se joue au présent.
La mémoire peut se trouver cerner dans les sillons d’intentions graves qui enflammèrent les soifs de pouvoir et de vengeance, de domination et manipulation des populations de la région.
Massacres sur massacres, dans les imaginaires mutuels , dans les mots comme dans les actes, armés pas des puissances étrangères cachées ou bêtement « commerçantes » sont au coeur du génocide rwandais. Un génocide des « grands lacs », une géopolitique des « grands profits » où se mettent en scène sous les caméras du monde entier des bons et des méchants…au service d’une Real Politik de puissance industrielle entre des grands de ce monde.
Oui, il nous faut devenir davantage des hommes debout, des « coeurs pensants de la baraque » (« baraque monde » aujourd’hui ?) aussi, comme disait ETTY HILLESUM dans son livre « Une Vie bouleversée » devant la montée inexorable du mensonge génocidaire nazi. Elle en est morte avec ses parents à Auchwitz.
Penser le complexe, refuser le trop simple…
Refuser que les morts, que les victimes tutsis ayant tant souffert ne souffrent encore dans leurs corps dressés, « cyniquement relevés des morts » comme en une danse de résurrection au service de la bonne conscience nationale et internationale couvrant tant d’exactions d’hier et d’aujourd’hui.
Refuser dans un élan de vrai discernement et de haute dignité et liberté que soient manipulés les morts par milliers, les vivants survivants et les vivants psychiatriquement muselés dans le vertige rwandais. Là est pour moi, la vraie compassion, en amont de toute réconciliation faussée sinon forcée… Sans âme.
Des « âmes, consciences et corps debout » …en éveil, OUI… « Des hommes – corps debout » n’interrogeant que les Hutus amalgamés au Hutu Power et n’interrogeant que des consciences humaines, par delà les frontières, à la mémoire et à la pensée embuées pour ne pas dire » enfumées » dans la bonne conscience, NON.
Vous comprenez, Fanny, mon insistance et la longueur de mes lignes que je prends le temps de vous écrire. Elles veulent alerter sur une menace en cours : la continuation, la couverture d’une danse macabre bien orchestrée qui couvre les agissements de domination au service d’une guerre économique mondiale dont le Congo, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda composent le théâtre. Théâtre d’opérations et désinformations trop claires pour seulement gens informés ! Si peu nombreux ! si peu nombreux !
Je vous reste disponible pour continuer notre échange si vous le désirez et si mes lignes ne vous ont pas trop « choquée ». J’ai préféré risquer vous paraître un révisionniste plutôt que de lâchement – gentiment me taire. J’ai trop d’amis tutsis comme hutus pour ne tolérer davantage leur manipulation et humiliation. J’ai écouté suffisamment d’horreurs et de mensonges au bord des charniers de tout bord dans ce pays, du nord au sud, d’est en ouest pour ne pas vous alerter.
L’avenir ne s’arrête pas pour les habitants de ce pays et de ces régions à 2014 et les nuages noirs sont déjà suffisamment amoncelés sur l’ immense et chaotique Congo voisin. Osons quelque vérité, osons au nom des bourreaux comme des victimes ! Jean Hatzfeld leur a donné si respectueusement la parole et l’écrit ! Il faut aller davantage « en eaux profondes »
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