RWANDA 1994 : Témoignage rétrospectif – Contre témoignage tout aussi rétrospectif.
Contre témoignage tout aussi rétrospectif
Général Fruchard
Je ne peux pas me targuer d’avoir été sur le terrain à cette époque (1990-1994). J’ai tout de même suivi de très près la crise rwandaise pour avoir occupé les fonctions de conseiller Afrique–DOM-TOM au Cabinet du ministre de la Défense de septembre 1990 à juillet 1993. J’ai participé notamment à toutes les cellules de crises qui se sont tenues au ministère des Affaires Etrangères et aux réunions hebdomadaires de la « Cellule Afrique » de la présidence de la République.
J’estime que la vision de « M Générique » est partielle et partiale.
Partielle, parce que réduire les causes du génocide de 1994 à trois facteurs (la situation économique et sociale rwandaise, la responsabilité des grandes institutions financières internationales – certes indubitables – et le comportement des chefs militaires français – j’y reviendrai), c’est omettre tout simplement l’attaque prononcée le 1er octobre 1990 par le FPR (Front patriotique rwandais) avec l’aide de l’Ouganda et la guerre d’usure qu’il a entretenue par la suite jusqu’aux accords d’Arusha, guerre qui a entraîné l’exode des populations, la multiplication des camps de réfugiés et la ruine économique du Rwanda.
C’est omettre que les accords d’Arusha eux-mêmes ont largement favorisé le FPR, ce qui a encore rendu les esprits un peu plus ouverts à la propagande de la Radio des Mille Collines. C’est omettre la faillite de la MINUAR.
C’est réduire à une simple péripétie l’attentat qui a provoqué le crash du Falcon 50 et la mort du président Habyarimana, le 6 avril 1994.
Sans tous ces faits que je viens de rappeler, en commençant bien évidemment par l’attaque initiale qui a tout déclenché, il y a fort à parier qu’il n’y aurait pas eu de génocide. Alors pourquoi les occulter ? Parce qu’ils incriminent le FPR et les Tutsis actuellement au pouvoir ? Je soupçonne là une certaine partialité.
D’ailleurs, lorsque l’auteur écrit : « la France a besoin de montrer sa force et sa volonté de protéger un dictateur “ami” d’une offensive lancée par sa propre population, exilée hors frontières qui, après trente ans de massacres organisés par le pouvoir hutu, tente de rentrer chez elle », il indique sans ambiguïté où il se situe : pour lui, lancer une attaque surprise avec 3000 hommes, c’est un moyen on ne peut plus démocratique qu’a la population de rentrer chez elle, moyen justifié parce que le chef de l’Etat est un dictateur… Seulement, la population c’est aussi quelques millions de Hutus qui ne sont pas d’accord, qui fuient à mesure que le FPR avance et dont, plus tard, une partie massacrera un million de Tutsis à la machette… avant qu’à son tour le FPR ne massacre lui-même quelques centaines de milliers de Hutus. La légitimité de l’action du FPR peut pour le moins se discuter tout autant que le caractère démocratique du régime actuel de Kigali.
Quant à rendre « le comportement des chefs militaires français » directement responsable du génocide, j’avoue que cette thèse me laisse pantois et relève de la même gymnastique intellectuelle que les attaques contre l’opération « Turquoise » dont l’objectif, évidemment ourdi par les militaires, était de protéger les génocidaires selon le pouvoir de Kigali et ses thuriféraires.
Je me souviens parfaitement des débats qui eurent lieu à Paris au déclenchement de l’offensive du 1er octobre 1990. L’avis du ministère de la Défense et de l’EMA était que le Rwanda ne représentait pas un enjeu majeur pour notre politique africaine et qu’il convenait simplement de protéger nos ressortissants au cas où ils seraient menacés. La décision expresse du président Mitterrand a été contraire et s’est traduite par l’envoi initial de deux compagnies de parachutistes (conjointement avec des paras-commandos belges). En un mois, l’armée rwandaise a reconduit le FPR à la frontière avec les conseils des assistants militaires techniques français. Mais la guerre ne s’est pas arrêtée là et la France s’est trouvée progressivement de plus en plus engagée militairement dans l’aide à l’armée rwandaise : assistance technique parfois, c’est vrai, proche, fourniture de matériel et de munitions, présence dissuasive d’unités françaises.
De là à soupçonner les militaires français d’avoir cédé à leurs traditionnels penchants « bellicistes », il n’y a qu’un pas que « M Générique » franchit allègrement.
Il oublie simplement que les forces armées françaises n’agissent pas en toute autonomie. Elles sont aux ordres du pouvoir politique et mènent des actions conformes aux orientations de notre politique étrangère. Les militaires sont des gens simples. S’ils n’ont pas compris que le pouvoir politique les envoyait au Rwanda aux côtés de l’armée nationale pour permettre l’arrivée au pouvoir du FPR, c’est probablement qu’on ne leur a pas indiqué cette orientation avec suffisamment de clarté. Ils ont donc fait ce qu’on leur demandait car s’ils étaient, dans une mesure relative, maîtres des modalités d’exécution, ils ne fixaient pas les objectifs.
Qu’on me pardonne cette réaction un peu vive mais, pour moi, le témoignage de « M Générique » participe de la désinformation qui, depuis 1994, vise à discréditer l’action des militaires français au Rwanda afin de donner un certificat d’honorabilité au pouvoir FPR de Kigali. Cela ne peut pas être accepté.
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