Opération Turquoise au Rwanda :
amalgames et affabulations.
L’hebdomadaire Jeune Afrique laisse entendre, dans un article du 1er juillet dernier, qu’au cours du colloque consacré au Rwanda qui s’est tenu au Sénat le 29 juin, François Léotard aurait affirmé que l’opération Turquoise aurait apporté un soutien aux FAR[1], s’opposant ainsi au FPR[2]. Le journal fait un amalgame regrettable entre la période 90/93 pendant laquelle la France a soutenu le régime rwandais et l’opération Turquoise qui a eu lieu de juin à août 1994.
En tant que commandant de l’opération Turquoise, j’ai participé à la préparation et à la planification de cette opération. Le gouvernement français a le premier reconnu le génocide et, face à l’inertie des autres grandes puissances, a souhaité y mettre fin pour des raisons humanitaires. Sur proposition de la France, le mandat de la résolution 929 des Nations Unies donnait mission à notre pays de protéger les populations menacées, en employant la force si nécessaire, en toute impartialité, c’est-à-dire aussi bien contre les unités des FAR que contre celles du FPR commettant des massacres et des exactions. Conformément à la volonté du gouvernement français, le mandat fut limité à deux mois .Cela signifiait que la France n’avait pas l’intention de revenir durablement au Rwanda.
J’affirme que la Force Turquoise a rigoureusement respecté le mandat d’impartialité fixé par l’ONU, n’apportant aucun soutien aux FAR et désarmant les unités rwandaises se trouvant dans la Zone de Sécurité créée par l’ONU. En revanche, conformément au mandat et au statut démilitarisé de cette zone, Turquoise s’est opposée à toute tentative de pénétration armée du FPR qui pourchassait les populations. Par ailleurs, la force aérienne a dû effectuer une intervention dissuasive mi-juillet sur le FPR qui bombardait les installations hospitalières de Goma depuis Giseny.
Contrairement aux affabulations de certains irresponsables et idéologues engagés, François Léotard, dans une interview à RFI le 3 juillet, précise que la feuille de route de Turquoise ordonnait d’éviter la confrontation avec le FPR et qu’aucune offensive sur Kigali n’avait été planifiée. Pour ce qui me concerne, que ce soit pendant la préparation de l’opération ou lors du déploiement de la Force, j’affirme qu’aucun raid sur Kigali ou action contre le FPR n’ont été planifiés et que je n’ai jamais reçu ni donné d’ordres ou de directives pour bloquer le FPR. Tous les documents opérationnels en font foi.
J’appelle les observateurs et commentateurs à davantage de rigueur dans leurs analyses et à se méfier des témoignages subjectifs et partisans. Je les incite à s’appuyer sur des faits et des documents incontestables, notamment les ordres d’opérations qui engagent les troupes sur le terrain et qui sont à leur disposition.
Général Jean Claude LAFOURCADE
Commandant l’opération Turquoise
[1] FAR : forces armées rwandaises (gouvernementales)
[2] FPR : front patriotique rwandais (tutsi)