Carnages
Que dit Pierre Péan ?
Qu’après la chute du mur de Berlin (9 décembre 1989… assaut du FPR : 1er octobre 1990), l’Afrique est devenue une des aires privilégiées du déploiement du « choc des civilisations » pour les Etats-Unis aidés par la Grande-Bretagne et pilotés par Israël.
Cette révélation de l’influence décisive d’Israël pourrait susciter des remous et je gage qu’il a fallu un courage certain à l’auteur pour la mettre en évidence aussi clairement. Pourtant on savait depuis longtemps qu’Israël était présent en Afrique dès avant les indépendances. Ce que le livre révèle au profane, c’est l’importance que l’Etat hébreux accorde au continent dans sa quête de sécurité, et notamment au Soudan qu’il considère comme un gage essentiel de profondeur stratégique.
Partant, une stratégie de déstabilisation de l’Afrique centrale va être élaborée entre les trois puissances et conduite implacablement jusqu’à aujourd’hui. Elle vise à faire d’une pierre deux coups en y remettant en cause les frontières issues de la décolonisation et en démantelant les deux géants régionaux :
– le Soudan considéré comme une plaque tournante du terrorisme islamique (nous y sommes presque),
– le Zaïre, désigné comme une «erreur géologique » du fait des richesses contenues dans son sous-sol (nous n’en sommes pas loin).
Pour mener à bien cette stratégie, les Etats-Unis et leurs alliés vont s’appuyer sur les Etats des Grands Lacs et sur des hommes qu’il vont y placer: en tout premier lieu, le président ougandais Yoweri Museveni, le « Bismarck des Grands Lacs » apparenté aux Tutsi, et puis John Garang , le chef historique de la rébellion au Sud-Soudan, et encore Paul Kagame, chargé du renseignement de l’armée ougandaise avant de devenir le maître du Rwanda après la victoire du FPR et les massacres de 1994. On compte d’autres cartes dans le jeu américain : Issias Afewerki, président de l’Erythrée, Meles Zenawi, homme fort de l’Ethiopie… Ils ont le même profil : ils sont jeunes, issus de la guérilla et chrétiens dans des pays où l’islam ne cesse de progresser.
Par la même occasion, la stratégie américaine conduit à évincer la France de son « pré carré ». On ne peut pas dire que cette perspective soit pour déplaire aux Anglo-Saxons.
Partant, tout s’enchaîne : la conquête du Rwanda par les Tutsi du FPR venus d’Ouganda, le génocide des Tutsi de l’intérieur pendant que tout le monde (y compris le FPR, mais sauf la France) regarde ailleurs, les massacres niés ou tus de Hutu par les forces de Paul Kagame, la conquête du Kivu par le nouveau pouvoir rwandais sous prétexte de sécurité, l’installation de Laurent-Désiré Kabila à Kinshasa… sans compter la déstabilisation du Darfour.
Cette « recomposition » de l’Afrique centrale se serait accompagnée de huit millions de morts sans qu’on prononce les mots de génocide ni de crimes contre l’humanité ou si peu !
C’est que la machine à travestir la vérité qu’on avait si bien vu fonctionner à propos de la crise rwandaise et à propos de l’opération Turquoise continue à étouffer tout ce qui peut filtrer.
Pierre Péan pointe du doigt les « blancs menteurs » qu’il avait déjà dénoncés, les ONG, les services secrets, les agents d’influence. Bien sûr, il y a des lacunes, des affirmations pas toujours très étayées. Pierre Péan le reconnaît lui-même. Il est vrai que d’une guerre secrète on ne peut voir que la partie émergée, c’est-à-dire peu de choses.
Quoi qu’il en soit, ce livre éclaire beaucoup d’énigmes du drame rwandais et au-delà des crises africaines.
Personnellement, je me pose encore des questions sur l’attitude de la France qui n’a pas pu ignorer la totalité de ces faits : pourquoi alors avoir laissé faire après 1994 ? Pourquoi en 2009 ce rapprochement avec le régime de Kigali qui continue à traîner la France et ses soldats dans la boue ?
A ce jour, à part l’article de Jean-Dominique Merchet, dans Marianne, il y a eu peu de commentaires sur ce livre qui démonte quelques « vérités » admises. Il est vrai qu’un rapport de l’ONU vient de confirmer les massacres commis par les forces rwandaises au Kivu. Y aurait-il une conspiration du silence (gêné) ?
MF